Sur la scène de la rentrée littéraire, le magicien Echenoz opère à nouveau. En un tour de main il fait d'un petit livre, au format de nouvelle, un grand livre sur la grande guerre, celle de 14, dont le seul chiffre suffit au titre. Au creux de ce court récit, descriptif comme le journal d'un mobilisé, attentif aux moindres détails d'interminables préparatifs plutôt révélateurs de l'impréparation, surgit l'horreur des tranchées, des offensives et des exécutions. C'est la fin d'un monde et, peut-être, dans la douleur et la désillusion, le timide espoir d'un monde nouveau. Au lecteur de se précipiter sur le dernier Echenoz, pour lire et faire lire ce texte, qui devrait figurer au programme d'histoire des lycées. A défaut d'avoir le temps de lire tous les écrivains de la Grande Guerre, les jeunes auront une idée du drame qui, précisément à leur âge, a frappé la génération de leurs arrière grands parents. Echenoz parsème son récit de références discrètes ou cocasses: la bicyclette du curé, la cervelière, le sac trop lourd pour une sinistre randonnée, le casque trop brillant et le pantalon trop voyant pour le guetteur ennemi. Le futile côtoie l'horreur et le tragique, du même ton, qui fut peut être celui d'Anthime, ou de ses camarades, héros involontaires du suicide des nations, devenus inscriptions dans le marbre des monuments des places de village ou cobayes de la médecine réparatrice. Certains sont revenus pourtant, le plus souvent taisants. Alors que le dernier des poilus survivants vient de disparaître, Jean Echenoz semble lui avoir redonné la parole.